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Un diagnostic de nos problèmes systémiques
De la subsistance des gens par l’argent obtenu par un travail
EBR2012 ex-Film de campagne
par Pierre Cardonnel
http://www.youtube.com/watch?v=BBAy-DTRqQ0&list=UUF8KbNV0SQjzfq_zaJVYdRw&index=1&feature=plcp

(…) Oui, l’argent est devenu une fiction. Il n’existe que dans le cadre d’une convention que nous acceptons tous. Nous l’acceptons parce que c’est une chose à laquelle nous sommes habitués, en dépit de la réalité même de ce que nous pouvons voir. Pourtant les femmes et les hommes les plus riches de ce monde n’ont que le pouvoir de dire qu’ils possèdent les choses. Les montagnes “chiffresques” d’argent que les puissants pensent posséder n’existent pas. Nos propres économies à nous tous non plus, d’ailleurs. Tout ça n’est qu’un score virtuel de score vidéo. Des chiffres dénués de sens parce que déconnectés des richesses terrestres réelles. Mais pour en revenir à la source de nos problèmes globaux, est-ce que l’argent en est la clé ? Non. Là encore, cet argent n’est qu’un symptôme, une conséquence. Si l’on pousse la recherche vers une causalité, il nous faut regarder la société humaine plus loin que ce qu’on a l’habitude de faire, généralement regarder les choses à court terme, par exemple.

On estime que l’être humain, notre espèce vivante, l’homo sapiens, existe depuis à peu près 200 000 ans. Tout d’abord, comme beaucoup d’autres espèces, nous avons été des chasseurs-cueilleurs opportunistes; puis, en affinant notre savoir et nos outils, nous sommes devenus il y a un peu plus de 10 000 ans des éleveurs-agriculteurs, faisant nous-mêmes pousser les légumes et les fruits que nous trouvions jusque là, et gardant et élevant à domicile des animaux que nous chassions auparavant. Nous avons bâti des cités, mis en place des systèmes d’organisation de la vie commune de plus en plus complexes, et si les techniques et les outils de pensée se sont de plus en plus affinés, il n’en reste pas moins vrai que l’obligation de produire nos biens et nos services par le biais de notre travail a depuis nos débuts été la condition pour subsister, pour survivre. Puis un phénomène très récent a commencé à changer la donne. Depuis les débuts de l’humanité, et jusque vers les années 1800, la plus grande force dévolue au travail de production a été l’être humain lui-même, en tant qu’outil, à une proportion écrasante, de l’ordre de 98 %. Les 2 % restant étant la traction animale et des outils tels les moulins à eau et à vent.

On peut que depuis toujours, les hommes avaient vécu dans une société de basse énergie. C’est dans les années 1800, donc, que quelque chose d’étonnant est arrivé. C’est exactement en 1781 que James Watt inventa le moteur à vapeur. Et si cette invention peut paraitre anodine, elle allait pourtant bouleverser notre système de fonctionnement. Parce que c’était la naissance d’une série d’outils de haute énergie qui allait croitre durant les 200 années suivantes. Et c’est avec ces outils de conversion d’énergie en travail, que l’humain a été petit à petit remplacé dans sa propre faculté à convertir sa faible énergie en travail.

Si l’on jette un oeil sur la répartition de la population active française dans le secteur primaire, c’est-à-dire l’agriculture et l’élevage, au cours des 200 dernières années, on constate qu’on est passé de 74 % de la population qui travaillait dans ce secteur à 3 % de nos jours [1800: 74 % / 1913: 40 % / 1965: 14 % / 1990: 5 % / 2008: 3 %] Ce qui est très logique quand on imagine que là où il fallait une cinquantaine d’hommes pour récolter des céréales dans un champs, par exemple, un seul homme avec une moissonneuse-batteuse suffit aujourd’hui; et encore, avec une navigation automatique au GPS, cet homme peut ne plus être indispensable. Cette croissance des outils qui nous remplacent a également touché le secteur secondaire, celui de l’industrie. Si en 1800 16 % des travailleurs français exerçaient dans ce secteur en pleine croissance, avec le déclin de l’agriculture en terme d’emplois, l’industrie a pris le relais jusqu’à employer 39 % des actifs dans le milieu des années 60 [1800: 16 % / 1913: 32 % / 1965: 39 % / 1990: 29 % / 2008: 22 %] Mais là aussi, on le sait, l’automatisation de la production a remplacé l’homme, petit à petit, de sorte qu’aujourd’hui en France 22 % des travailleurs gagnent leur vie à l’usine, et évidemment, ce nombre est voué à baisser. Qu’est ce qu’il reste alors comme emplois pour qu’ils puissent assurer leur subsistance au quotidien ? Les métiers de service, le secteur tertiaire. Depuis 1800, date à laquelle seulement 10 % des Français travaillaient dans ces boulots de service, le pourcentage n’a cessé de croitre puisque c’est un secteur qui emploie aujourd’hui 75 % des travailleurs. [1800: 10 % / 1913: 28 % / 1965: 44 % / 1990: 66 % / 2008: 75 %]. Oui, notre possibilité de gagner notre vie actuellement est essentiellement dépendante du secteur des services.

Maintenant, la vraie question: est-ce que ce secteur est immunisé contre la progression des outils, contre l’automatisation ? Est-ce qu’une caissière de supermarché peut se sentir concernée par les caisses automatiques où l’on scanne soi-même ses produits ? Est-ce qu’un guichetier dans une gare peut craindre d’être remplacé par une borne automatique où l’on paye avec sa carte bleue ? Est-ce qu’un conducteur de métro peut penser qu’à terme, toutes les lignes seront vouées à devenir automatiques puisque celles qui le sont déjà fonctionnent très bien ? Si l’on réfléchit bien, on a notre réponse.

Alors oui, ça peut poser problème dans notre façon actuelle de fonctionner, car à partir de quel niveau de chômage se rendra-t-on compte que la progression de l’automatisation de la production de biens et de services est inéluctable ? Quant aux pourcentages que nous avons vus pour la France, ils sont très semblables dans les pays qui ont suivi le même mode de développement. Alors on peut se poser la question: “oui, mais il y a surtout des emplois qui disparaissent vers les pays émergents…”, c’est aussi vrai, mais ça ne change rien au problème ici. Si des emplois partent ailleurs parce que les salaires sont bien moins chers à payer, de toute manière, ces emplois ne reviendront pas ici. Quant aux pays où ils arrivent, ce sont des pays qui n’ont pas eu les moyens financiers de s’équiper au même moment que chez nous, mais leur progression sera similaire à la nôtre: automatisation du secteur agricole, puis industriel, puis du secteur tertiaire pour terminer. Et qu’est-ce qu’il y a après le tertiaire pour nous permettre de gagner notre vie ? Rien.

Il nous faut alors nous poser la question: qu’est ce qui est vraiment pertinent dans un travail ? Est-ce que c’est la possibilité d’occuper quelqu’un, et de lui permettre de gagner de l’argent pour assurer sa subsistance, ou est-ce que c’est l’utilité, la quantité et la qualité de ce qu’il produit en travaillant ? Est-ce qu’il serait absurde ou pertinent de ranger la moissonneuse-batteuse dans la grange, et de recruter à la place une cinquantaine de personnes pour produire la même quantité de céréales, et leur permettre de mériter de l’argent pour vivre ? Est-ce que ce qui est important pour nous en fait, ce n’est pas que les céréales soient produites ? Est-ce qu’à tous les niveaux de production de biens et de services, l’important est bien que ces biens et ces services soient produits, même s’ils ne le sont plus par les gens, par nous ?

La clé, le noeud de nos problèmes globaux se trouve ici. Dans cette équation qui est que pour accéder aux biens et aux services qui sont nécessaires à sa survie, il faut gagner de l’argent, argent que l’on obtient en travaillant. Cette équation fonctionnait très bien dans un monde de basse énergie, mais à l’heure où les outils remplacent les hommes dans la production de biens et de services, elle n’est plus valide. Si le travail se raréfie, alors que c’est le robinet qui nous permet d’obtenir de l’argent pour survivre, et que ce robinet se ferme, alors on se retrouve face à de sérieux problèmes. C’est avec cette donnée que nous créons des emplois inutiles, qui sont simplement là pour justifier d’un salaire. C’est avec cette donnée que nous créons une économie de type cyclique, avec comme outil premier la consommation massive de biens voués à être obsolètes très vite.

Si une marque suédoise d’ameublement à bas prix s’amusait à vendre par exemple une table qui puisse durer cent ans, comme nos anciens ont toujours su le faire, que se passerait-il ? On lui en achèterait beaucoup moins, en terme de tables produites. Donc, pour rentabiliser, il faudrait qu’elles soient beaucoup plus chères. Mais comme les gens ont de moins en moins d’argent, puique les emplois disparaissent peu à peu, ce n’est pas cette stratégie qui est employée. La marque va donc essayer de limiter au maximum ses coûts de production, créant au passage des sous-emplois, ou plutôt des sous-salaires; elle va étudier la manière dont la table pourra répondre à nos besoins pour un temps, mais également se s’abimer assez vite pour qu’on puisse lui racheter une nouvelle table, et donc lui permettre de continuer son activité rentable financièrement. On savait faire des tables qui durent sur du très long terme, alors qu’est-ce qui s’est passé ? On a perdu en technique, en savoir-faire ? C’est grave, parce qu’on peut dire qu’il y a eu une véritable rétention d’efficacité, puisque la vraie table efficace, c’est celle qui est solide et qui est faite pour durer; mais bien plus grave encore, c’est qu’en multipliant le nombre de tables qu’une personne pourra avoir tout au long de sa vie, on est dans un pillage de ressources terribles. Et quand on conçoit que tous les produits sont conçus dans ce seul but d’être rapidement renouvelés, et que tous les matériaux nécessaires à leur fabrication sont prélevés sans la moindre réflexion sur l’impact écologique, on comprend vite que la pollution de notre monde n’est pas due au petit tri que l’on va faire dans sa poubelle pour être recyclé on ne sait comment, que ce n’est pas non plus dû au fait que l’on coupe le robinet pendant qu’on se brosse les dents; tout ça, ce sont des petites choses en bout de chaîne.

La pollution terrible de notre monde vient de ce que notre société actuelle a un besoin vital pour maintenir tant bien que mal des emplois, et de faire un maximum d’argent au passage; notre société ne peut survivre sans cette consommation cyclique à outrance, faite de produits inefficaces, pensés pour être obsolètes très vite; des produits multipliés parce qu’en concurrence les uns avec les autres, d’une marque à l’autre, tout ça sans le moindre regard sur la quantité réelle de notre stock terrestre de ressources, sur l’impact que le pillage de tel ou tel élément puisse avoir sur l’écosystème d’un lieu.

Nous gaspillons énormément, sans que les standards de vie soient pour autant élevés à la hauteur de notre véritable savoir-faire. C’est également à cause de cette équation de la survie par l’argent obtenu par un travail que l’on assiste à des désastres de la pauvreté et de la misère. Selon les chiffres de l’ONU, 18 000 personnes meurent chaque jour sur Terre de la faim. Non pas parce que la nourriture n’existe pas, mais parce qu’ils n’ont pas eu les moyens financiers d’accéder à de la nourriture existante. J’ai bossé à un moment donné à faire de rayonnage dans un supermarché, et j’ai constaté le gaspillage ahurissant des aliments qui étaient jetés pour un oui ou pour un non. On a tous vu aux informations des gaspillages de masse, des mares de lait déversées dans les champs pour ne pas fausser les marchés… Des études américaines estiment que l’on jette 40 % de notre alimentation produite dans notre mode de vie occidental. Si on fait le lien avec les 18 000 individus qui meurent de faim chaque jour…

D’ailleurs, ce nombre ne veut plus rien dire, il masque par sa masse le fait que tous ces individus sont des gens, qu’ils avaient un nom, une histoire, une famille, une vie. Et que cette situation ne nous est pas insupportable, par un fait aussi arbitraire que ce sont des gens que nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer, de connaitre personnellement. Quelle serait notre réaction si un enfant que nous connaissions mourrait de faim ? Quels seraient nos cris pour réveiller le Monde ? Quant à la pauvreté massive, que l’on vit partout sur cette Terre, on sait le stress qu’elle génère, l’humiliation subie, l’obligation de survie qu’elle demande, quelles que soient les règles morales ou légales qui nous entourent… Est-ce que ce ne sont pas les bons ingrédients pour faire la recette de comportements délinquants, criminogènes, maffieux ? Est-ce que la misère fiancière n’est pas en lien avec la misère sociale ?

Si le travail humain n’était pas remplacé petit à petit par des outils perfectionnés, eh bien peu importe le nombre de personnes que nous sommes, il devrait toujours y en avoir puisque l’offre et la demande en biens et services seraient proportionnelles. Helas, on le sait, les offres d’emplois diminuent toujours et encore, et pour en créer artificiellement toutes les idées sont bonnes. On se retouve tous en concurrence prêts à accepter une activité rémunérée, non pas pour sa pertinence du point de vue d’une production de quelque chose, mais tout simplement parce que c’est la clé qui nous permettra d’avoir un toit, de manger et de régler nos factures.

Cette concurrence qu’il y a entre nous, elle existe à tous les niveaux: les entreprises sont concurrentes les unes avec les autres, et les pays, parce qu’ils sont intimement dépendants de la bonne santé des emplois chez eux, donc des entreprises, les pays sont également concurrents les uns avec les autres, et chacun tire la couverture à soi, sans que l’impact que puisse avoir son activité soit une préoccupation digne d’intérêt. Un monde anarchique, c’est maintenant qu’on le vit. Une multitude de structures qui se battent les unes contre les autres sans se préoccuper de leur impact ou de celui des autres, la seule règle étant de gagner, de devenir plus gros. Si l’on considère que la Terre est un tout, un organisme où tous les éléments sont en interdépendance, alors il est très préjudiciable pour nous tous que des institutions, des pays, des entreprises essaient d’accaparer le plus possible pour eux. Si chez un humain, l’organe le plus puissant, disons le cerveau, cherchait à s’accaparer l’ensemble de l’oxygène et des nutriments au détriment des autres organes, il en résulterait la mort pour l’ensemble de l’organisme, cerveau compris.

Je crois qu’il faut qu’on se penche sérieusement sur cette problématique de la subsistance des gens par l’argent obtenu par un travail, travail qui se raréfie dans un monde de haute énergie où la force de travail humaine n’est qu’un tout petit pourcentage par rapport à la force de travail de nos outils automatisés. Parce que cela semble être la source de tous nos maux, y compris celui d’un argent qui ne pouvait que de se dissocier de ce qu’il symbolisait, les ressources terrestres dont l’économie actuelle a un besoin vital de piller.

Une économie basée sur le gaspillage, donc une anti-économie puisque le verbe qui s’y rapporte, économiser, est l’inverse même du verbe gaspiller. Une anti-économie qui veut se faire passer pour pragmatique, avec costards-cravates, mots savants et complexité de chiffres qui en imposent, quand le veritable pragmatisme mathématique nous dit qu’il est impossible dans les règles de l’Univers de manger quelque chose plus vite qu’il ne se renouvelle pour toujours. Le long terme ne peut survivre à une consommation plus rapide que le taux de renouvellement de quelque chose. Malheureusement notre système est basé presqu’exclusivement sur l’exploitation humaine, le gaspillage des ressources et la production superflue. Notre nécessité d’avoir des emplois à tout prix, pour faire durer le système, se base sur l’inefficacité

From: demonetize.itBy: Andreas Exner